737 Max : Une longue histoire d’erreurs, de profits et de sacrifices dans l’aviation

Retour sur les précédents du scandale du Boeing 737 Max.
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Après plus d’un an et demi d’interdiction de vol, les modèles de 737 Max de Boeing entrevoient enfin un retour dans les airs. Deux accidents successifs impliquant directement l’avion avaient attiré l’attention sur un problème technique non résolu. 

Le 29 octobre 2018, un Boeing 737 Max-8 de la compagnie indonésienne Lion Air opérant le vol 610 décolle de l’aéroport de Jakarta en direction de Pangkal Pinang. 13 minutes après son envol, l’avion et ses 189 passagers et membres d’équipage s’écrasent en mer de Java. À peine 6 mois plus tard, le vol Ethiopian Airlines 302, aussi assuré par un Boeing 737 Max-8, s’écrase 6 minutes après son décollage d’Addis-Abeba. Les 157 personnes à bord ne survivront pas. 

Un malheureux mélange d’un défaut de conception, d’une certification bancale et de mensonges flagrants 

Pour être autorisé à voler, un modèle d’avion doit recevoir un certificat de navigabilité. Cette certification est attribuée par l’autorité en charge de réguler l’industrie aérienne du pays de l’avionneur. Boeing étant une entreprise américaine, l’organisme de régulation qui régit ses certifications est la Federal Aviation Administration (FAA). Les autorités des autres régions d’opération de l’avion suivent ensuite. Cependant, une enquête du Seattle Times montre une première erreur dramatique et inquiétante : la FAA a délégué la certification de sécurité du 737 Max à Boeing. 

lion air 737 max 8 accident avion vol 610
Un Boeing 737 Max 8 immatriculé PK-LQP de la compagnie Lion Air, qui assurera le vol 610.

Le 737 est une gamme d’avion moyen-courrier (distance de vol maximale de 4 000 à 5 000 kilomètres) biréacteur lancé par Boeing et mis en service depuis 1968. 6 229 avions de type 737 sont actuellement en service à ce jour, plus 389 avions 737 Max cloués au sol. Ce modèle est la quatrième génération du 737, en production depuis 2011. Comme chaque génération se base sur la précédente en gardant l’essentiel du modèle précédent, Boeing a bien entendu validé la certification de sécurité de son 737 Max, qui entre en service en 2017. 

Mais l’avionneur a volontairement omis un détail essentiel : son nouveau système MCAS (Maneuvering Characteristics Augmentation System). Le 737 Max a été conçu pour concurrencer en urgence la dernière génération de son rival direct, l’Airbus A320neo. Ce dernier reprend la base de l’Airbus A320, avec deux nouveautés. Des bords d’ailes relevés, et une paire de moteurs plus économes en carburant : 20% de moins que la génération précédente. Mis en service en 2016, l’A320neo a rapidement empilé les commandes. Boeing a donc appliqué la même recette sur son 737, avec les mêmes moteurs. Mais ces derniers ont une particularité : ils sont bien plus gros. 

Une question de centimes et de centimètres 

Pour l’A320, qui a une plus haute garde au sol que le 737, installer les nouveaux réacteurs à l’ancien avion n’était pas un problème. Chez Boeing par contre, leur intégration a été un casse-tête pour les ingénieurs. Les moteurs ne rentraient tout simplement pas sous les ailes du 737 Max. La solution la moins compliquée, et donc la moins coûteuse, fut de modifier le système de nacelle des moteurs, pour les relever sans modifier le reste de la structure du 737 Max. Mais en aviation, la facilité n’existe pas. Le changement d’emplacement des réacteurs influait directement sur le flot d’air autour de l’avion. Le risque de décrochage (perte de portée de l’air) en était augmenté, ce qui a amené à la création du MCAS.

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Un Boeing 737 Max 8 équipé de moteurs CFM (Safran/GE) LEAP-1A. © Nathan Coats

Grâce à deux capteurs situés de part et d’autre de la cabine de pilotage, le système MCAS mesure l’angle aérodynamique du flot d’air autour de l’avion, autrement dit son inclinaison. Si les données indiquent un risque de décrochage, le MCAS rattrape la situation en faisant piquer le nez de l’appareil, afin d’augmenter la vitesse air de l’avion. Un système nouveau et essentiel, sur lequel Boeing a affirmé avoir formé ses pilotes. Mais la procédure pour désactiver le MCAS n’a été donnée aux pilotes sous forme d’un bulletin de sécurité qu’en novembre 2018, à la suite de l’accident du vol Lion Air 610. 

Les deux accidents ont été directement retracés au système MCAS. En effet, les boîtes noires ont à la fois témoigné de son activation automatique, et d’inclinaisons erratiques de l’avion avant sa chute. Sans savoir ce qu’il leur arrivait, les pilotes ont dû se battre avec un appareil qui s’obstinait à piquer vers le sol. Un défaut de procédure de la part de Boeing qui a causé la mort de 346 personnes, une interdiction mondiale de vol pour le modèle, des milliards de dollars de pertes financières, et un recul du PIB américain de 0,5% sur l’année 2019.  

Un cas loin d’être isolé 

Le DC-10, modèle pionnier des avions tri-réacteurs long-courrier, a été commercialisé par l’avionneur américain McDonnell Douglas de 1968 à 1989. Avec son fuselage large et ses 3 réacteurs, l’avion avait pour atouts de pouvoir transporter plus de 200 passagers et de réduire les coûts de maintenance par rapport à un avion à 4 réacteurs. Mais son image a été à jamais ternie dans le monde de l’aviation, à cause de 3 accidents consécutifs causés par des défauts mécaniques connus. 

Les deux premiers concernent la porte cargo arrière du DC-10. Le 12 juin 1972, le vol American Airlines 96 décolle de Los Angeles pour relier Détroit. Au-dessus du Canada, la porte arrière de la soute s’ouvre, entraînant une décompression explosive de l’avion, l’endommageant sévèrement. Par miracle, les pilotes arrivent à relier Détroit en urgence, sans aucune victime à déplorer. Le problème mécanique, qui réside dans le verrouillage hydraulique de la porte cargo, est identifié, mais pas résolu sur l’ensemble des DC-10 en circulation. Le 3 mars 1974, près de Paris au-dessus de la forêt d’Ermenonville, le vol Turkish Airlines 981 se désintègre en vol après une décompression explosive. Cette fois-ci, l’ouverture de la porte cargo entraîne la mort de 346 personnes, ce qui en fait le quatrième pire accident aérien à ce jour. 

Le troisième accident viendra d’une erreur de maintenance de la part d’American Airlines, qui a délibérément accéléré le délicat démontage et remontage des moteurs situés au niveau des ailes du DC-10 pour gagner du temps. Le vol 191 décolle de Chicago le 25 mai 1979, mais s’écrase au bout de 31 secondes de vol dans une boule de flammes après que le moteur gauche du DC-10 se soit décroché de sa nacelle. Avec 273 victimes, c’est à ce jour l’accident le plus grave survenu sur le sol américain. Bien que McDonnell Douglas n’a pas été à l’origine de cet accident, le DC-10 sera temporairement interdit de vol, puis délaissé des voyageurs. L’arrêt de la production est annoncé en 1983.

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Un McDonnell Douglas DC-10 immatriculé N134AA appartenant à American Airlines, 1981.
Les magouilleurs du ciel 

Mais Boeing et la FAA n’en sont pas à leur première collaboration suspecte. Le 26 mai 1991, un Boeing 767 de la compagnie aujourd’hui disparue Lauda Air (fondée par le pilote de Formule 1 Niki Lauda) se désintègre en plein vol à la suite de l’activation intempestive d’un inverseur de poussée du moteur. Ce système utilisé à l’atterrissage inverse la poussée des moteurs pour freiner l’avion, et ne s’active pas en vol. L’accident entraîna la mort des 223 passagers et membres d’équipage, peu après le décollage du vol à Bangkok. 

L’enquête réalisée par le Thai Aircraft Accident Investigation Committee et la campagne médiatique orchestrée par Niki Lauda vont mettre Boeing au pied du mur. L’activation de l’inverseur de poussée n’est aucunement la faute des pilotes, d’une erreur de maintenance ou de Pratt & Whitney, le fabricant des moteurs. C’est Boeing qui a esquivé le test d’activation des inverseurs de poussée en vol auprès de la FAA, estimant cet événement impossible. Un test réduit, à basse vitesse et à basse altitude, leur a été autorisé. 

Ainsi, Boeing n’a tout simplement pas donné de procédure aux pilotes en cas d’activation inopinée de l’inverseur de poussée en vol. De plus, l’ajout d’une sécurité mécanique additionnelle n’a donc pas été jugé nécessaire sur les moteurs des 767. À la suite de l’accident, 1 600 avions de modèles 737, 747, 757 et 767 équipés du même système d’inversion de poussée ont dû remplacer leur valve d’activation avec une meilleure sécurité. Airbus et d’autres constructeurs ont aussi ajouté un système supplémentaire de précaution dans les années suivantes. 

Les inverseurs de poussée activés sur un Boeing 747 à l’atterrissage : on y voit l’air poussé vers l’avant des ailes grâce à l’eau sur la piste.

Si l’aviation a toujours appris de ses erreurs pour améliorer sa sécurité, comme l’automobile ou l’industrie ferroviaire, certains défauts étaient connus avant qu’ils ne représentent un réel problème. Le cas du 737 Max est le dernier parfait exemple en date. La FAA vient de réautoriser l’avion à voler aux États-Unis. L’Agence Européenne de la Sécurité Aérienne (EASA), devrait suivre début 2021. Au vu des conséquences humaines et économiques immenses de l’affaire du 737 Max, serait-ce la dernière erreur cachée de l’aviation civile ? Le temps nous le dira. 

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