Toute création artistique est considérée comme propriété intellectuelle, et est donc protégée par les droits d’auteur. Mais comment fonctionne cette propriété intellectuelle quand l’auteur d’une œuvre est anonyme ?
Récemment, le YouTuber SEB a réalisé une vidéo sur un phénomène musical anonyme qui a fasciné Internet ces dernières années : Shiloh Dynasty. Sur Vine, puis sur Instagram, la jeune femme au nom inconnu a posté des courtes vidéos d’elle en train de chanter, en noir et blanc ou sépia, visage caché. En 2014 déjà, ces extraits amassent des millions de vues. Mais c’est quelques années plus tard, en 2016 et 2017, que Shiloh Dynasty explose, en parallèle avec un nouveau genre musical : le lo-fi. Les courts fragments de sa voix envoûtante sont samplés, c’est-à-dire réutilisés, dans des dizaines et des dizaines de musiques. Jusqu’à apparaître dans plusieurs morceaux de XXXTentacion sur son album 17.
Mais la jeune chanteuse n’ayant jamais révélé son nom ou son identité, a-t-elle touché des droits pour la réutilisation de ses extraits ? Pour sampler un son, c’est-à-dire utiliser une musique, un extrait d’une musique, un discours ou toute œuvre extérieure pour l’intégrer à sa création artistique, il faut avoir l’autorisation de l’auteur original. En général, les droits d’utilisation d’un sample impliquent une contrepartie financière. Même si Shiloh Dynasty a publié ses extraits sur les réseaux sociaux, elle reste la propriétaire intellectuelle de ses courtes musiques.
Où va l’argent ?
Pas de panique pour les finances de la jeune femme. En effet, celle-ci est enregistrée chez Broadcast Music, Incorporated (BMI) en tant que “MUSIC BY SHILOH DYNASTY SONGS” et est donc protégée par l’entreprise de collecte de droits d’auteurs. La musique, comme la littérature ou la peinture, n’est pas un art où l’artiste touche généralement l’argent directement depuis le client. Pour la musique, il y a avant l’artiste le label, la maison de disques. Pour les écrivains, c’est la société d’édition qui collecte les fonds avant de les donner à l’auteur. Dans le cas de la peinture, la sculpture, la photographie… c’est souvent la galerie ou l’organisme de vente qui est responsable de l’argent avant que l’artiste ne touche sa part.
Ainsi, un artiste anonyme dans ces domaines n’a pas besoin d’avoir un nom public pour collecter ses droits d’auteurs ou ses bénéfices de vente. Les galeries, maisons d’édition, labels, etc, s’occupent de redistribuer à l’artiste anonyme, dans l’ombre. C’est par exemple le cas de l’autrice au pseudonyme Elena Ferrante, dont l’on a parlé dans notre enquête sur l’anonymat. C’est d’ailleurs en croisant les revenus perçus par une femme et les revenus envoyés par la maison d’édition de l’autrice anonyme qu’un journaliste a pu déterminer l’identité de la femme mystérieuse.
La propriété intellectuelle anonyme
Qui dit œuvre anonyme ne dit pas libre de droit. En France, même si l’auteur n’est pas mentionné, une œuvre est protégée par le Code de la propriété intellectuelle. Mais comment cela fonctionne-t-il ? Juridiquement, selon l’article L. 113-6 de ce même Code, « les auteurs des œuvres pseudonymes et anonymes jouissent sur celles-ci des droits reconnus par l’article L. 111-1. » L’article ici mentionné est l’article général qui régit les droits d’auteur sur toutes les œuvres en France.
Mais là où l’anonymat change tout, c’est au niveau de la paternité de l’œuvre. C’est-à-dire la durée d’application des droits de propriété intellectuelle avant que celle-ci ne tombe dans le domaine public. En effet, pour une œuvre dont l’auteur est connue, la propriété intellectuelle est protégée durant toute la vie de l’auteur, puis 70 ans après sa mort. Dans le cas d’une création anonyme, ces droits patrimoniaux ne s’appliquent que pour 70 ans à compter de la première date de publication de l’œuvre. Si l’auteur venait à se faire connaître, il jouit alors d’un droit exclusif sur les 25 premières années suivant la publication. Ensuite, l’œuvre est traitée comme une création dont l’auteur est connu : droits réservés jusqu’à 70 ans après la mort du créateur.
D’ailleurs, légalement, seul l’auteur peut faire tomber le masque de l’anonymat. Une protection supplémentaire pour les artistes anonymes, qui restent seuls maîtres de leurs créations, même inconnus.